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1966 la France quitte l'Otan
Mars 1966 la France quitte l'Otan
Article du Républicain Lorrain Mardi 2 Mars 2016
02/03/2016 à 15:39 , actualisé le 03/03/2016 à 15:33 -Vu 1531 fois
Freloc comme Fast Relocation.
Le nom de code de l'armée US donne le tempo du timing imposé par le retrait de la France de l'Otan, il y a 50 ans le 7 mars 1966. Le Général de Gaulle laisse alors un an aux Alliés américains et canadiens pour évacuer les bases de l'Hexagone. Avec des conséquences économiques, sociales et sociétales, particulièrement ressenties en Lorraine. Pour les Lorrains comme pour les Alliés. Un grand chamboulement à revivre dans notre Boîte à archives.
Freloc means Fast relocation
Clic hereafter to read the original article of March 2016
http://www.republicain-lorrain.fr/actualite/2016/03/02/il-y-a-50-ans-la-france-quitte-l-otan-l-armee-canadienne-et-us-en-mode-freloc-comme-fast-relocation
Le grand exode de l'Otan
Nous, nous portions des pantalons trop longs et trop larges aussi. Nos jupes étaient tristounettes et informes. Eux ils portaient déjà des jeans, des santiag et des chemises à carreaux. Ces gens venus d’ailleurs n’étaient vraiment pas comme nous. Souvenez-vous, ils roulaient dans des Cadillac, des Buick, ou des Chevrolet longues et belles comme le jour. Nous, nous étions poussifs, dans nos Dauphine, Aronde et autre 2CV. Et entrez donc dans leurs bases…
[Républicain Lorrain du 14 mars 1995] C’était l’Amérique ! Elle vous en mettait plein la vue. Les supermarchés et les congélateurs n’avaient plus de secrets pour eux. Pour nous, si. Mais ce n’est pas tout. Nos yeux émerveillés découvraient le snack-bar, le hamburger, le coca-cola, les ice-creams géants, et même le chewing-gum pour ceux qui n’avaient pas connu la guerre. Pendant ce temps, nos fermes n’avaient pas encore toutes l’eau courante. Toute une époque, ou plutôt une parenthèse qui ne tarderait pas à se refermer.
Revenu aux affaires en 1958, le Général de Gaulle annonce d’emblée la couleur : la France reste attachée au pacte Atlantique dont elle fut l’un des moteurs, mais elle va devenir une puissance nucléaire, et va rétablir sa souveraineté en matière de défense nationale. Son retrait des commandements intégrés est programmé. Quelques années plus tard, en 1965, il précise sa pensée : l’intégration dans l’OTAN cessera au plus tard en 1969. Les choses iront beaucoup plus vite. Fin mars 1967, toutes les forces et installations alliées auront quitté la France. Non sans états d’âmes. Américains et Canadiens plient bagages, tandis que les populations habituées à vivre au rythme de ces garnisons, véritable manne économique, font grise mine. Des civils royalement payés se retrouvent sur le carreau. Les entreprises et les commerces locaux subissent de plein fouet ce départ, beaucoup d’entre eux mettent la clé sous la porte. Jusqu’alors, beaucoup de Lorrains avaient plané avec l’US Air Force et les avions portant haut la feuille d’érable. Il a bien fallu atterrir…
[...] Sur l’ensemble de l’hexagone, la décision du Général de Gaulle concerne : 56 bases terrestres, 17 bases aériennes, 370 dépôts, 26 000 militaires, 16 000 emplois civils. En Lorraine, l’Aviation Royale du Canada dispose alors d’un quartier général au château de Mercy à Metz, et d’escadres à la base aérienne de Marville. L’US Air Force a des unités sur les bases aériennes de Chambley-Bussières et de Toul-Rosières, et des installations (dépôts, logements et commerces, établissements scolaires et hôpitaux) à Phalsbourg, Verdun, Sarrebourg, Etain, Bar-le-Duc, Nancy et Metz. Les premiers départs commencent à l'été 1966. On compte jusqu’à 300 camions par jour sur les routes lorraines. Pour l’armée US, l’opération prend le nom de Freloc, pour "Fast Relocation from France".
Article signé Antonella Krebs [Républicain Lorrain du 14 mars 1995]
"FRELOC" lance sur les routes lorraines 300 camions par jour
Freloc means Fast relocation
Les Américains ont la hantise du 1er avril 1967 mais déménagent leurs bases avec un flegme trompeur... Les douaniers de la Brême d’Or n’avaient pas vu, depuis longtemps, autant de camions américains à la fois. Et pourtant, le grand déménagement des bases, commencé depuis plusieurs mois, semble chercher un second souffle. Pourquoi ? Parce que les militaires US sont inquiets. Ils se demandent s’ils auront tout transporté dans les délais. La date fatidique est celle du 1er avril, et chacun sait pour une fois qu’il ne s’agit pas d’un jour pour rire.
[Républicain Lorrain du 27 novembre 1966] Toul-Rosières. « Que voulez-vous savoir au juste ? » demande le colonel en retenant un sourire… D’un geste distingué, il a croisé les mains sur son immense bureau et attend courtoisement sous le drapeau étoilé. - Des détails sur l’opération Freloc. - C’est une très grosse affaire. - Mais encore, tous ces camions sur les routes ? … - Voyez mes services. Ils vous diront tout ce qu’ils savent. Le quartier général de Wiesbaden est d’accord. Mais nous n’avons que les chiffres de la base… Le spectre du secret militaire plane un moment sur la pièce. Le colonel me quitte sans oublier de dire qu’il aime beaucoup la France et les Français. Dix minutes plus tard, un sergent facétieux me tend le "New York Herald Tribune". « Je vous le donne. Il y a dedans tous les renseignements que vous voulez ». Et c’est vrai.
Le sens de l’humour
Ce qui prouve que toutes les armées du monde sont à la même enseigne en matière de secret : ou ne rien dire du tout et laisser écrire n’importe quoi, ou en dire un peu et ne plus pouvoir retenir la curiosité des journalistes. Du moins, dans l’armée américaine, a-t-on, en plus, le sens de l’humour. D’ailleurs, si le colonel Rufus F. Causey dit qu’il s’agit d’une très grosse affaire, on peut lui faire confiance. Ce Texan de 49 ans en a vu d’autres. Pendant près de quinze ans, il servit au "Strategic Air Command" où l’US Air Force n’a pas l’habitude de caser des ronds de cuir. Il arrive ici en plein déménagement et ne commande la base que depuis huit jours.
La Lorraine n’a pas souvenir d’un trafic comparable en temps de paix. Des centaines et des centaines de camions lancés sur les routes depuis des mois, des accidents nombreux et malheureusement prévisibles, de longues files roulant vers Sarrebruck, gros tracteurs vert foncé marchant à bonne allure, tous phares allumés. Dans la mesure pourtant où il se veut discret, ce trafic est un peu fantomatique au point qu’il est difficile de se faire une idée de l’opération. Un convoi fait en effet oublier l’autre. Seuls les douaniers pourraient imaginer la longueur de tous ces camions mis bout à bout. Telle est l’opération FRELOC, qui coiffe toutes les bases françaises, c’est-à-dire, aussi bien les installations de la Lorraine que celles de Châteauroux, Laon ou Evreux. FRELOC est une abréviation de "Fast Relocation", ce qui peut se traduire par "Relogement rapide" et n’a pas besoin de commentaires…
La clé sous le paillasson
Une plaisanterie court pourtant dans les bases où l’on murmure que l’abréviation viendrait de "Free Lock". Free signifiant gratuit et Lock fermeture… Chacun sait que le gouvernement américain a l’intention une fois le dernier camion passé de laisser symboliquement la clé sous le paillasson et de présenter la note à l’État français. L’armée et l’aviation US mènent chacune leur déménagement mais un groupe d’officiers généraux stationnés en Allemagne supervise son déroulement selon un planning minutieux et sans doute électronique au sein de l’EUCOM (European Command). Le mot d’ordre est ici « rapidité dans la souplesse ». Dans chaque base, le colonel est le patron. On imagine les tonnes de paperasse, malgré l’horreur qu’ont les Américains pour la bureaucratie. Il s’agit de déménager avant quatre mois 770 000 tonnes de matériel, de quoi remplir un train de cinquante mille wagons. Sur ce chiffre fantastique, la Lorraine a la plus grosse part.
300 camions par jour…
Selon le colonel Hogrefe, qui commande la base de Nancy-Depot, il part de notre région « entre 25 et 300 camions par jour ». 1 700 chauffeurs militaires appartenant pour la plupart au 37e Transport Group de Toul-Jeanne d’Arc vont et viennent entre les bases lorraines et l’Allemagne. La plupart des camions de l’armée de terre se retrouvent à Gemersheim, près de Francfort. D’autres expéditions sont faites vers Brême ou Anvers, pour filer ensuite vers les USA. D’autres, enfin, sont dirigés sur l’Angleterre, l’Espagne ou l’Italie. On a parlé d’un nouveau pont de Berlin, avec toutefois des camions à la place des avions, ce qui est beaucoup moins spectaculaire. L’image fait sourire les Américains, mais ils reconnaissent que FRELOC constitue, sur le papier, un exploit logistique de premier ordre.
Depuis juin, date des premiers départs, 400 000 tonnes sur les 770 000 ont déjà quitté la France. Dans le même temps, 26 000 personnes sur les 70 000 à reloger, ont abandonné notre pays. Il s’agit d’un chiffre moyen. À Toul-Rosières, par exemple, 720 camions sont déjà partis pour l’Allemagne depuis l’été. C’est un petit peu plus du tiers de ce qui doit être déménagé. Il reste encore 9 000 tonnes, entreposées ici et là dans la base, dont l’aspect extérieur reste celui d’une petite ville du Middle West, avec son carrefour bardé de stops et ses cottages sertis dans un gazon immortel. 975 familles ont quitté Toul.
« Une rallonge, please »
« We move so quickly as we can » disent les officiers. Nous partons aussi vite que nous le pouvons. Mais l’inquiétude gagne les états-majors. L’hiver approche avec ses routes verglacées qui vont freiner toute l’opération… « Je me demande comment nous ferons pour être prêts en mars » affirme un capitaine. « C’est une course contre la montre. Vous rendez-vous compte de ce que nous devons trimbaler ? ». - Pourtant, vous avez dépassé la moitié… - Sans doute, mais ça ne veut rien dire. Vous savez ce que c’est qu’un déménagement… On liquide d’abord tout ce qui est facile à emporter. Puis l’on met tout le reste près des caisses en attendant d’y voir plus clair. On entasse tout dans un coin pour gagner du temps. Et l’on ne sait plus par quel bout commencer. Maintenant, nous arrivons à toutes ces petites choses et c’est terrible. Pensez, nous sommes ici depuis la fin de la guerre.
Si le président de la République ne donne pas de rallonge, on peut s’attendre dès la fin de l’hiver, au plus grand branle-bas que les routes lorraines aient jamais vu. Ce formidable va-et-vient a d’ailleurs des effets sur les personnes qui le vivent. Quelle que soit leur opinion sur les raisons qui ont motivé le départ des Américains, il est dur pour ceux qui vivaient ici de voir s’effondrer peu à peu le décor dans lequel ils travaillaient depuis des années.
Mélancolie
Un psychiatre noterait que l’atmosphère dans les bases est résolument « dépressive » surtout chez les employés français dont les soucis de reclassement sont connus. Les Américains eux-mêmes semblent gagnés par la mélancolie générale. Dans les bureaux à demi-vides où des caisses ont déjà gobé des années de souvenirs, la vie continue comme au ralenti. Des GI’s, le regard perdu dans la fumée de leur cigarette, songent devant leur machine à écrire ou tapent d’un doigt décontracté qui trahit leur tristesse. Pour d’autres, au contraire, en France depuis peu, tout ce passé qui s’écroule n’est qu’un accident de parcours. On sent qu’ils sont déjà en Allemagne par l’esprit. Un sergent me confie, d’une voix désabusée : « Il y en a pas mal ici qui ont des choses dans la tête ». Sa main tournoie au-dessus de son front, de façon très significative… « Mais ils gardent tout ça pour eux ». - Vous êtes triste ? - Bien sûr, je le suis : Les Français avaient peut-être leurs raisons, mais ça nous fait quelque chose.
Chez les civils, c’est la consternation. Et beaucoup plus que ça : le pessimisme noir. Un jeune Nancéien me dit assez crûment ce qu’il a sur le cœur : « On va nous laisser tomber. Nous ne trouverons rien ». - Pourquoi rien ? - Parce que nous savons ce que les gens pensent. Ils disent que pendant des années nous avons eu des salaires plus forts que les autres et que maintenant, c’est bien notre tour d’en baver.
Une jeune femme nous écoute. Elle a les yeux embués de larmes.-Allez-vous les suivre, Madame ? Les suivre ? Et pourquoi ? Vous me prenez pour une cantinière ? C’est le mot de la fin.
Article signé Jacques Gandebeuf [Républicain Lorrain du 27 novembre 1966]
1. ECONOMIE. 16 000 emplois supprimés dont la moitié en Lorraine.
La fermeture des bases US, un handicap pour l’économie de certaines régions
La fermeture des bases américaines et canadiennes telle qu’elle découlerait d’un retrait de la France de l’OTAN, va se répercuter sur l’économie d’un certain nombre de régions déjà mises en alerte, il est vrai, par les réductions d’emplois civils effectuées au cours de ces derniers mois.
[Républicain Lorrain de mars 1966] Une telle mesure entraînerait tout d’abord la disparition de marchés passés par les autorités U.S. à des entreprises locales françaises. Ces marchés concernent surtout la fourniture de denrées alimentaires et de services (transports, entretien, etc…) ainsi que des travaux de construction. Le total annuel du chiffre d’affaires ainsi réalisé avoisinait, dans les meilleures périodes, 60 millions de dollars, soit 300 millions de francs, dont le manque risque de mettre en péril de petites entreprises installées aux alentours des bases.
De la Lorraine à la Loire
D’autre part, l’abandon, par les Américains, de leurs installations en France, entraînerait la suppression de 16 000 emplois environ dans des régions qui, pour la plupart, ne disposent déjà que d’un marché du travail restreint. Les licenciements partiels qui s’étaient déjà produits tant dans l’Ouest que dans l’Est avaient été difficilement absorbés par l’offre locale. Les régions dans lesquelles la fermeture des bases U.S. se ferait le plus durement sentir sont incontestablement la Lorraine et la Haute-Marne, ainsi que les départements proches de la Loire où les problèmes d’emploi résultant du départ des troupes américaines ne feront que s’ajouter à ceux dus à la régression des industries traditionnelles, la reconversion ou l’adaptation de certaines autres activités, la poussée démographique et la diminution de la main-d’œuvre agricole.
Dans l’Est, des réductions d’effectifs sont déjà intervenues à Metz, à Trois-Fontaines (qui doit fermer en juin), à Phalsbourg et à Verdun. Mais si les bases de Chaumont (Haute-Marne), Étain (Meuse), Chambley (Meurthe-et-Moselle) ainsi que le puissant centre aérien de Toul-Rosières (Meurthe-et-Moselle) devaient être mis dans l’obligation de licencier la totalité de leurs employés et ouvriers français, cela poserait des problèmes pratiquement insolubles dans des régions déjà très peu industrialisées et où l’agriculture compte de moins en moins d’emplois.
Dans la partie ouest de la France, c’est particulièrement Châteauroux qui aurait à souffrir d’une fermeture de la base U.S. Les installations de Déols-La Martinerie, dans la banlieue du chef-lieu de l’Indre, sont en effet parmi les plus importantes puisqu’elles ont employé jusqu’à 6 000 personnes et en comptent encore 3 5000. Le problème du remploi des licenciés se poserait d’une façon dramatique, dans une région qui connaît déjà un fort exode et qui ne dispose que d’une faible activité industrielle. À Orléans, où siège l’état-major des transports, 2 500 civils français, hommes et femmes, pour la plupart non spécialisés, sont encore employés. La ville, fort heureusement, ne connaît pas les difficultés de Châteauroux. Le reclassement des femmes devrait être assuré sans trop de peine par les entreprises locales. En revanche, le remploi des hommes s’avère plus délicat. Le départ des militaires U.S. pourrait paradoxalement avoir une conséquence heureuse dans un autre domaine, celui des logements, dont un grand nombre seraient alors vacants et pourraient être mis à la disposition des industriels qui se décentraliseraient dans le chef-lieu du Loiret.
De nouvelles aides
À Chinon (Indre-et-Loire), où l’achèvement des travaux de la centrale nucléaire va dégager un certain nombre d’ouvriers, le licenciement des 600 employés du camp américain posera des problèmes quasiment insolubles sur place. En Haute-Normandie, les fermetures ne devraient pas avoir de répercussion trop grave sur un marché de l’emploi en constante expansion. Le problème de l’implantation d’entreprises pour remplacer les emplois supprimés va donc se poser dans la plupart des zones touchées. Certaines modifications ponctuelles apportées au régime des aides de l’Etat à l’industrialisation, avaient déjà été apportées en tenant compte des licenciements prévus alors dans les installations militaires. C’est notamment le cas de Chinon, où les décentralisations bénéficieront désormais d’exonérations fiscales. Des mesures semblables s’imposent maintenant en faveur des autres points menacés, même si la fermeture des bases ne doit se faire que progressivement.
[Républicain Lorrain de mars 1966]
Avant la marche sur Paris, la manif des employés des bases alliées en Lorraine
Répondant à l’appel lancé par leurs organisations syndicales, les civils français employés dans les bases alliées (américaines et canadiennes) installées en France ont, nous l’avons dit, décidé de présenter leurs revendications de manière spectaculaire, en organisant deux journées de protestation.
[Républicain Lorrain du 15 octobre 1966] [..] La plus importante de ces manifestations s’est déroulée devant le Nancy General Depot, entre Nancy et Toul. En tout, près de 3 000 personnes quittèrent la base pour défiler silencieusement sur la magnifique route à trois voies qui s’étend, toute droite, devant le Nancy General Depot. Ni pancartes, ni banderoles : c’était plutôt une marche silencieuse qui se déroula dans le calme et la plus grande dignité. A Marville. Aux mêmes heures, 110 à 120 employés de la grande base de la Royal Canadian Air Force, de Marville, dans la Meuse, se sont rassemblés devant le poste de police. La circulation n’a pas été interrompue ni même perturbée. A Phalsbourg. Pas de perturbation non plus sur la route Strasbourg-Metz, à hauteur de la base U.S. de Phalsbourg. Cent cinquante personnes environ ont entendu l’allocution de leurs délégués syndicaux. La route n’a jamais été barrée et tout s’est déroulé dans le plus grand calme. Un seul incident, tout à fait bénin et pittoresque : la gendarmerie ayant interdit l’usage du haut-parleur, le conseiller général Thomas est allé aussitôt chercher un porte-voix, engin qui, lui, est autorisé ! Aujourd’hui, les employés civils des bases alliées doivent manifester dans la capitale. Dès ce matin, de nombreux cars quittèrent la Lorraine en direction de Paris.
[Républicain Lorrain du 15 octobre 1966]
La marche sur Paris du personnel des bases alliées
Aujourd'hui, convaincus d'avoir épuisé toutes les ressources du dialogue, les Français qui devront être reclassés en raison de la fermeture des bases alliées en France vont "marche sur Paris"
[Républicain Lorrain du 15 octobre 1966] Combien seront-ils ? En tout cas, ils sont 16 000 à la veille d’être privé de leur gagne-pain. 50% d’entre eux ont moins de 30 ans, 40% de 30 à 60 ans et 10% ont dépassé cet âge. Comme nul n’ignore bien que peu de portes s’ouvrent devant un chômeur ayant atteint la quarantaine, on peut estimer qu’au moins 8 000 de ces employés des bases alliées ont toutes les raisons du monde de s’inquiéter pour leur avenir.
Environ 7 000 personnes
3 500 à Nancy, Toul et Chambley, 2 500 dans la Meuse, une centaine dans la Moselle : tels sont les effectifs des licenciés plus ou moins en puissance de notre région. Certains d’entre eux, surtout ceux qui parlent anglais, ont été invités à suivre les Américains dans leurs nouvelles bases. Mais les avantages qu’on leur offre sont-ils assez importants pour faire passer les inconvénients d’une transplantation à l’étranger ? Les spécialistes des problèmes de l’emploi estiment que si, à Nancy et dans sa région, il y aura peut-être des moyens « de s’en tirer », Toul et Verdun posent de sérieux problèmes. Dans cette dernière ville, 3 00 personnes risquent - faute de mesures nouvelles - d’être obligées de chercher à se reclasser ailleurs. Ceci sans parler du sort incertain de millier de personnes actuellement employées par les autorités canadiennes dans le département de la Meuse et dans les environs de Metz. On comprend, dès lors, les manifestations qui se sont déroulées hier sur la RN4 et sur la RN3.
Certes le gouvernement a prévu une série de mesures : formation professionnelle, allocation-retraite pour les non-reclassés ayant plus de 50 ans et six mois d’allocation temporaire dégressive pour ceux dont le salaire serait inférieur à celui perçu auparavant. Mais cela n’apparaît pas suffisant et en tout cas ne permet de remédier au « vide économique » qui menace les régions concernées. Car, même si on a souvent reprochés aux Américains de vivre en circuit fermé, on s’aperçoit aujourd’hui que ce n’était pas tout à fait exact : taxis, stations-service, bars, restaurants, parfumeries et même coiffeurs pour dames vont noter une baisse de leur chiffre d’affaires.
Une nouvelle division ?
On a mis, semble-t-il, beaucoup d’espoir dans la possibilité d’installation dans l’Est de troupes françaises. La question est toujours à l’étude, et si l’on aboutit à l’implantation, à la fin de l’année prochaine, d’une division qui pourrait être rapatriée d’Allemagne, on parviendra peut-être à combler ce vide économique auquel nous avons fait allusion. M. Messmer, ministre des Armées, a donné, à ce sujet, quelques espoirs. S’ils se réalisent, plusieurs casernes de Verdun seraient regarnies. Des éléments pourraient également être implantés à Etain, à Sommedieue et sur l’actuelle base américaine de Toul. Il va sans dire que ces implantations ne constituent qu’un aspect du problème plus général du stationnement des troupes françaises en Allemagne [...] et de leur possible retour sur le sol national. Mais quelle que soit l’importance de ces mouvements hypothétiques, on n’aura pas résolu pour autant le problème du reclassement du personnel. Seuls une centaine de civils pourraient au maximum espérer être embauchés.
Article signé Sonia Lemaire [Républicain Lorrain du 15 octobre 1966]
2. FAITS-DIVERS. Hécatombe sur les routes.
Un camion U.S. catapulte quatre voitures : 1 mort, 1 blessé
Saverne. C’est à la nuit tombante, un peu avant 17 h 30, qu’un carambolage a eu lieu entre Saverne et Strasbourg, tout près de Marlenheim, sur la Nationale 40.
[Républicain Lorrain du 18 novembre 1966] Les riverains de la Nationale sont habitués, depuis des mois, à voir passer de lourds camions américains chargés de matériel. L’armée US démonte la base de Phalsbourg et l’évacue sans arrêt vers Karlsruhe. Hier, c’est un de ces camions, rentrant à vide de l’Allemagne vers ce qui reste de la base lorraine, qui a soudain dérapé sur la chaussée mouillée, heurté un premier camion venant en sens inverse, s’est complètement déséquilibré à la suite de ce premier choc et a pris ensuite en enfilade trois autres véhicules qui arrivaient. L’un des conducteurs de ces trois autos est mort, l’autre dans le coma. Le chauffeur du camion est indemne.
On imagine l’aspect que pouvait revêtir la route lorsque ce télescopage en série fut terminé. Le camion américain avait pratiquement poussé les voitures dans les fossés, déblayant tout sur son passage. Il était conduit par un Noir, le soldat Thomas Jackson. On lui fit une prise de sang, mais il n’avait aucune trace d’alcool. La première camionnette était conduite par M. Jacques C., de l’entreprise Florentin de Lunéville, et qui n’a pas été blessé. La deuxième voiture, une R10, appartenait à M. Antoine B., 36 ans, demeurant 20 rue de Stuzheim à Strasbourg-Kronenbourg. Il a été tué sur le coup. La troisième, une Simca, était conduite par M. Jean G., 32 ans, demeurant à Toul. Il a été transporté dans le coma au Centre traumatologique de Strasbourg. La quatrième, une 2 CV, pilotée par un habitant du Bas-Rhin, n’a été que légèrement éraflée. Son conducteur est indemne. La circulation a été perturbée pendant plus de deux heures.
[Républicain Lorrain du 18 novembre 1966]
Quinze tonnes d’obus US au fossé près de Saint-Avold : un GI de Toul tué
Saint-Avold. Le déménagement des bases alliées pose, c’est incontestable, de délicats problèmes de circulation et il est des heures où les géants de la route tracent un véritable pointillé vert olive sur les routes menant vers la Sarre ou le Palatinat. Tout ceci ne vas pas sans accident ni certains risques. Jeudi dernier, notamment, un camion américain chargé d’explosifs, venant du dépôt de Toul, versait dans un fossé près de Solgne. Le conducteur en était quitte pour la peur. L’accident qui s’est produit hier, en début d’après-midi, au lieu-dit "Les Quatre Vents",près de Saint-Avold, n’a pas eu, malheureusement, les mêmes suites bénignes : le chauffeur, le soldat Ernest Castro, 19 ans, originaire de Californie, est mort dans sa cabine broyée.
[Républicain Lorrain du 22 novembre 1966] C’est en descendant la pente raide, alors qu’il venait de la direction de Faulquemont, que le pilote perdit le contrôle de son lourd semi-remorque. Le camion alla percuter, de plein fouet, la façade d’une ferme inhabitée et se retourna avec son chargement. Tandis que les brigades de gendarmerie de Zimming, Boulay et Longeville-lès-Saint-Avold, arrivaient sur les lieux, un médecin de cette dernière ville, le docteur Zonza, ne pouvait que constater la mort de l’infortuné G.I. Il était, du reste, impossible de le dégager, et des appels furent lancés auprès de la base de Toul Jeanne d’Arc à laquelle le soldat appartenait, pour que de puissants engins de levage soient envoyés aussitôt. Toutes les précautions pour éviter un incendie furent prises aussitôt. Le gasoil du réservoir s’était répandu un peu partout et l’on pouvait craindre qu’il ne s’enflamme. Le pire était, alors, possible : le camion transportait en effet quinze tonnes d’obus de 105 mm. [...] Après un hallucinant déploiement de matériel, la circulation était rétablie et le corps du malheureux chauffeur était enfin dégagé.
[Républicain Lorrain du 22 novembre 1966]
3. SOCIETE. La vie avec les Américains et les Canadiens.
L’armée US apprend à partir « gentiment »
De longue date, l’armée américaine fait suivre à ses hommes des cours et conférences sur de multiples sujets. Le cycle qu’elle vient d’organiser est toutefois le plus délicat de son histoire.
[Républicain Lorrain du 19 novembre 1966] Il a pour titre « Au revoir mes amis » (en français) ou « Comment dire au revoir ». Donnés au Q.G. européen des forces U.S. près de Saint-Germain-en-Laye, ces cours réunissent aussi les épouses et enfants des G.I. Voici en substance, ce que dit le colonel-professeur : - Nous devons exprimer notre regret de partir… Nous ne devons manifester ni colère ni joie… En bons invités, nous devons quitter nos hôtes avec le sentiment qu’ils ont eu plaisir à nous recevoir, et aimeraient nous avons à nouveau chez eux si l’occasion s’en présentait… Notions quelque peu difficiles à faire entrer dans la tête des « élèves »…
Avec la liberté qui a toujours caractérisé les élèves américains, les questions fusent : - Comment peut-on avoir l’impression que nos hôtes ont eu plaisir à nous recevoir, quand ils nous ont demandé de nous en aller ? Mais les autorités américaines, tant militaires que civiles, tiennent beaucoup à ces cours qui font partie du « plan des affaires publiques » et ont pour but de laisser en France « une ambiance de bonne volonté » et « d’assurer, en dépit de la situation actuelle, la continuité de la longue amitié franco-américaine ». Il s’agit donc d’infuser un minimum de diplomatie aux quelques 10 000 militaires américains encore stationnés en France ainsi qu’aux employés civils américains et aux familles des uns et des autres .
C’est au Q.G. U.S. d’Orléans que ces cours ont été conçus et préparés. En voici la base. L’actuel « désaccord », autrement dit l’éviction des Américains, a pris naissance à un niveau diplomatique et ne doit donc pas affecter les relations entre Français et Américains moyens. Les Américains qui se sont fait des relations en France - ils sont une minorité - disent que leurs amis français tiennent beaucoup à les rassurer quant à leurs sentiments amicaux pour l’Amérique. Mais, dans l’ensemble, les militaires et, surtout leurs épouses, n’éprouvent que de légers regrets. Ayant surtout vécu dans l’ambiance artificielle des camps US, connaissant mal la France, ils sont heureux de retrouver leur pays. Presque tous éprouvent « des sentiments mêlés ».
Pour certains le départ est dur. - Nous devons nous en aller avec élégance, admet une épouse de G.I. Nous avons fait notre devoir. Ils estiment, en France, qu’ils peuvent se suffire à eux-mêmes et, après tout, il est temps. Ils ont tout de même attendu vingt ans pour cela ! Mais certains se sont profondément attachés à la France et, pour ceux-là, le départ est dur. C’est le cas de familles installées depuis la Seconde Guerre mondiale et dont les enfants ont grandi en France, bien qu’éduqués à l’école américaine du camp. - Mon père, arrivé ici pendant la guerre, dit une jeune fille, a appris à aimer ce pays et ses habitants. Il trouve qu’on nous a demandé trop brutalement de partir, mais cela ne change rien à ses sentiments. « Il aime les courses de chevaux, le vin, le pain, le fromage, les gens de France. Il trouve que Paris est la plus belle ville du monde. Il dit qu’il ne retrouvera jamais rien de semblable en Amérique… » Pourtant, ces militaires ne songent pas à prendre racine en France. Il ne leur vient pas à l’idée de cesser d’être Américains : ils ne sont pas de la race des artistes, des écrivains… ou des beatniks ![Républicain Lorrain du 19 novembre 1966]
On regrettera les Canadiens
« Je ne suis pas dans leur peau » reconnaît M. le Maire de Peltre, « mais je crois que ça leur fera mal au cœur de partir ». « Pour tout vous dire, nous serons un peu tristes, nous aussi ». M. le Maire d’Ars-Laquenexy ne dit pas le contraire. C’est lui qui marie les Canadiens lorsqu’ils trouvent une Lorraine à leur goût. Le recueil d’état-civil de la commune est plein de noms qui ne sont pas du cru. Mais la plupart sont de consonance française.
[Républicain Lorrain du 7 août 1966] Ars et Peltre se sont habitués à ces garçons flegmatiques qui roulent dans des voitures aussi grosses que des avions et préfèrent coucher dans leurs caravanes. À l’entrée de Peltre, 17 familles ont ainsi installé un village provisoire qui élit son maire tous les six mois et fait très bon ménage avec les autorités. La gentillesse est totale, la correction parfaite, les attentions constantes, mais le château de Mercy demeure la citadelle du mystère. Un câble direct relie le Grand Quartier général à Ottawa, et tout visiteur doit montrer patte blanche. On se croirait ici dans quelque petite ville de l’Alberta.
Que deviendra cette grande bâtisse lorsque le Grand Quartier général aura emménagé à Zweibrucken ou à Soellingen ? Personne ne le sait au juste pour le moment. La ville de Metz surveille du coin de l’œil ce qui pourrait devenir plus tard un magnifique centre de loisirs et d’éducation populaire, mais elle n’a, pour le moment, pas droit à la parole : le château appartient à l’armée française. Curieux destin que le sien, d’ailleurs. Un premier édifice appartenant à Coëtlosquet fut détruit pendant la guerre de 1870. Il fut reconstruit avant 1914 avec les dommages de guerre et vendu plusieurs fois, car personne ne voulait le garder. Réquisitionné en 1940 pour devenir un hôpital militaire, il abrita bientôt des SS et fut bombardé. Les gens du pays se souviennent encore de l’explosion de torpilles marines entreposées là par les Allemands. Son dernier propriétaire est l’armée française qui en a fait un centre de colonies de vacances jusqu’à l’arrivée des Canadiens, nouveaux locataires.
La plupart des familles des Canadiens du château sont logées à Metz. Quelques-unes se sont installées dans les petits villages des alentours. À Peltre, par exemple, une dizaine de familles occupent des maisons du village, en plus des 17 dont nous avons parlé. Le gros des effectifs canadiens est à Marville, près de Montmédy. Le tiers d’entre eux sont des Canadiens français. « Nous les avons toujours considérés comme des amis et ils nous le rendent bien », disent les paysans. « Chaque matin, de leur voiture, ils nous font un petit salut en nous voyant dans nos champs ». Autour de Metz, leurs enfants vont tous à l’école à Bellecroix. Un ramassage scolaire a lieu chaque jour. Mais les plus jeunes, ceux qui n’ont pas six ans, vont à la maternelle française. « Pour Noël, ils ont leur cadeau comme les nôtres et ils chantent avec eux autour du sapin ».
Mais le fin du fin, le plus grand moment de la fraternité franco-canadienne, c’est le match de football entre l’équipe locale et les militaires de Mercy. Leur départ va creuser un vide. En privé, certains Canadiens français ont dit à leurs amis lorrains qu’ils préféreraient bien rester : « Il nous a fallu du temps pour apprendre à vous connaître, parce que vous avez un tempérament aussi méfiant que le nôtre… Mais maintenant, nous vous aimons bien ». La grande majorité des ancêtres des Canadiens français de Mercy étaient Normands, Lorrains ou Alsaciens. Beaucoup seront tristes en les voyant partir.
À Marville, c’est encore plus grave. Toute l’économie de la région va s’en trouver déséquilibrée. On sait que près de 1 500 familles canadiennes se sont installées ici « entre la France et la Belgique ». Au total, 5 000 personnes, allant et venant sur les petites routes meusiennes et facilement reconnaissables grâce à leurs plaques minéralogiques. On ne peut pas dire que leur communauté se soit intégrée, mais il est difficile de l’ignorer. Sans doute, vivent-ils en circuit fermé, achetant leur nourriture et leur équipement au magasin de leur base, sous le nez des commerçants locaux résignés. « Même la salade », précisent ces derniers, en soupirant. « Tout leur arrive par avion ».
Mais leur présence permanente a tout de même eu des conséquences. Des filles du pays ont suivi leurs maris de l’autre côté de l’océan, des liens d’amitié se sont noués et le patron de la base n’oublie jamais de déposer une gerbe au monument aux Morts le matin du 11 novembre. Le drame est celui du débauchage de quatre cents Français, hommes ou femmes, employés à la base. Bien sûr, ils savaient que les Canadiens partiraient un jour, mais les difficultés de l’emploi sont trop connues dans la région pour ne pas servir d’excuse valable à ceux qui n’ont pas su sacrifier le présent à l’avenir. Ils n’avaient pas le choix, après tout, ces jeunes entrés ici sans la moindre spécialité et devenus, pendant des années, laveurs de vitres, coupeurs de bœufs ou tondeurs de gazon. On leur donne environ 350 F par mois et une partie du repas de midi. C’est l’intendance française, à Metz, qui les paie. La presque totalité d’entre eux n’ont malheureusement pas de qualification. D’ores et déjà, on peut faire un pronostic : sur les 380 personnes travaillant à Marville sans qualification particulière, le tiers est constitué par des retraités de l’armée ou de l’administration qui n’ont aucune chance de trouver du travail sur place ; le second tiers par de très jeunes gens, condamnés à quitter le pays, le troisième tiers enfin de gens d’âge moyen, implantés dans le canton avec leurs familles.
Les trois cantons de Montmédy, Stenay et Longuyon sont touchés. Le premier surtout, d’où viennent les deux tiers des employés. Montmédy, qui souffre déjà d’avoir vu partir, l’an dernier, ses militaires, accepte ce nouveau coup du sort avec une appréhension visible. Nous sommes loin, en effet, de l’euphorie de 1956. Les premiers soldats canadiens s’installaient sur ce plateau, considéré comme le plus beau grenier à blé de la Meuse. De la route, on peut deviner ce qu’ils en ont fait, en passant sous de sinistres miradors métalliques, du sommet desquels aucun veilleur ne vous menace. Des avions à réaction vont moissonner leurs doubles bangs quotidiens, de gros longs courriers débarquent de Vancouver ou d’Ottawa des camions fraîchement fabriqués.
À l’entrée de la base, mais sur la commune de Remoiville, un bidonville « de luxe » attire le regard. Les deux tiers des familles canadiennes y vivent, dans des caravanes agrémentées de hangars en tôle, eux-mêmes ornés de toiles de tente et d’une incroyable collection de pots de fleurs et de cordes à linge à côté desquels la smala d’Abd el-Kader fait piètre figure. La comparaison ne va pas plus loin : tout est ici d’une propreté impeccable, et ces radeaux sans allure naviguent sur une mer de gazon. De loin, on dirait un camping. De près, on ne dirait plus rien du tout. L’intérieur des « maisons » est d’un confort bien supérieur à la moyenne française et les puissantes voitures sont devant les portes, pour rappeler le standing de ceux qui les habitent. Le dernier tiers des familles canadiennes loge soit à Longuyon, dans une cité HLM, soit en Belgique, à Virton, Florenville et Arlon. Dans ce dernier pays, elles ont trouvé plus facilement un petit pavillon (à des prix extrêmement élevés, murmure-t-on à Marville).
À Montmédy, où l’on aime bien les Belges, on dit d’eux qu’ils pleurent quand on raconte une histoire drôle et qu’ils rient quand l’histoire est triste. Pourtant, le départ des Canadiens de Belgique semble prouver le contraire, car l’histoire n’est pas drôle et les Belges n’ont pas du tout envie de rire. « Il y en a encore pour plus d’un an », disent les uns, qui le tiendraient de la bouche des Canadiens eux-mêmes. Marville restera l’aérogare européen de tous les Canadiens de l’OTAN. « Les escadrilles françaises d’Allemagne viendront tout naturellement se replier ici », pensent les autres. « On ne va pas tout de même détruire une piste pareille ».« Nous sommes bel et bien fichus », disent les plus pessimistes. « Quand les avions partiront, le reste aura déménagé en huit jours ».
Article signé Jacques Gandebeuf [Républicain Lorrain du 7 août 1966]
La gentillesse de leurs voisins lorrains avait touché Jacqueline et Bernard jusqu’aux larmes
On dirait une famille française. Mais Bernard Rochon est sergent au Quartier général au Château de Mercy, et Jacqueline, sa femme, a l’accent d’Aglaé. Ils habitaient avec leurs quatre garçons une vieille maison de Sainte-Ruffine, en plein cœur du petit village aux rues étroites. Tout le monde les connaissait : « La maison du Canadien ? C’est à cent mètres ».
[Républicain Lorrain du 7 août 1966] « Je ne voulais pas rester en ville, reconnaît le sergent Rochon d’une voix chantante. Il nous faut de la nature ». Il montre son jardin où poussent de jolies fleurs bien reposantes à regarder. On s’installe autour de la table, tandis que Luc, 11 ans, Guy 9 ans, Yvan 6 ans et François 1 an se préparent à gagner leurs lits. Il n’est que 20 heures, mais le marchand de sable travaille ici à l’américaine. « J’aimerais savoir ce que vous ressentirez en quittant la France, vous, des Canadiens français ? » Ils parlent tous les deux à la fois. Ils ont quelque chose à répondre. C’est Jacqueline qui résume ce qu’ils ont sur le cœur : « Nous serons mélancoliques ». Mais comme si elle ne voulait pas qu’on s’attendrisse, elle ajoute : « On n’est pas si mal, vous savez. J’ai pris six kilos depuis que je suis chez vous ».
Le sergent Rochon m’explique l’histoire de sa famille : le lointain ancêtre était Normand. Côté maternel, ce sont des Alsaciens, les Mayer. Les ancêtres de sa femme s’appellent Desnoyers et Laselle. Ce ne sont pas des Canadiens français pour rire. Ils se sont connus à Hawkesbury, une petite ville de l’Ontario. Bernard Rochon était fiancé lorsqu’il vient pour la première fois en France, à Paris, puis à Metz. Il y a treize ans. « J’aimerais bien que tu voies Paris, écrivait-il à Jacqueline. Ça vaut le déplacement ». « Il est revenu et il m’a épousée » conclut-elle. C’était en juillet 1954. Ils restent d’abord quatre ans à Saint-Huber, près de Montréal, et c’est le premier grand voyage. Bernard Rochon est nommé à Vancouver, sur les bords du Pacifique, en Colombie britannique. « Et Paris ? murmure parfois Jacqueline à Bernard, le soir sur leur terrasse. Tu crois qu’on a une chance ? » C’est en français qu’elle lui pose la question.
Perdus au beau milieu de ce paradis britannique, les Rochon tiennent le coup. En juillet 1962, la bonne nouvelle arrive. Le sergent Rochon est nommé pour quatre ans à Metz. Un avion leur fait faire le voyage avec leurs trois enfants. Le quatrième naîtra ici : « Notre petit Français » dit Bernard. Ils habitent d’abord rue Saint-Jean au Sablon, puis trouvent ce refuge de Sainte-Ruffine où ils s’installent discrètement. « Ce qui m’a le plus ému en arrivant, avoue Jacqueline, c’est d’entendre les petits Français parler. Alors, j’ai compris que les miens avaient un accent. Vous savez, chez nous, les Canadiens sont persuadés qu’ils parlent très parfaitement. Ça m’a bouleversée… Elle se retourne et me montre les enfants qui se chamaillent autour des polochons… « Écoutez-les. Ils parlent un français impeccable, et sans accent. Vous ne pouvez pas savoir le plaisir que ça nous fait ».
Ils parlent maintenant de la France, complaisants sur ses charmes, discrets sur ses défauts… « Au moins, ici, quand vous avez des amis, c’est pour de bon ». En janvier dernier, Bernard Rochon tombait très gravement malade. Il fut soigné en Allemagne, à Deux-Ponts. Pendant deux mois, Jacqueline fit l’aller-retour trois fois par semaine, tandis qu’une voisine, devenue depuis une amie, gardait spontanément les quatre enfants. Des gens qui passaient devant la maison frappaient timidement à la porte : « Vous savez, Madame, on ne vous connaît pas, mais si vous avez besoin de quoi que ce soit ». Jacqueline et Bernard ont été touchés jusqu’aux larmes.
Il y aussi les mauvais côtés, soyons francs. Au début de leur arrivée surtout. Les réflexions chez les commerçants « Oh ! vous, vous êtes « pleins aux as. Vous roulez dans des voitures de milliardaires et vous faites monter le prix des appartements ». Cette phrase toucha profondément le couple. « Ma voiture, je l’ai payée à tempérament comme tout le monde… Non, mais qu’est-ce que vous croyez ? Qu’au Canada, les sergents sont payés comme des généraux ? Pour les maisons, vous auriez préféré que je couche au bord de la Moselle ? J’ai pris ce que j’ai trouvé et j’aurais sans doute pris autre chose si j’avais trouvé moins cher ». Depuis, les Rochon ont pardonné. Leur logis n’est pas plus luxueux que celui de n’importe quel sergent de n’importe quelle armée du monde. Chacun vit à sa façon, après tout !
Décidément, cette conversation est amusante. Le Français qui adore juger les autres, oublie parfois que les autres en ont autant à son service. Et cet échange de jugements est d’autant plus facile qu’avec les Canadiens, on s’aime bien. « Rassurez-vous, dit Jacqueline en riant, mais d’un rire triste. Quand nous partirons, il y en aura des gens pour pleurer ». Elle dit la vérité, ça se sent. « Rapporterez-vous au moins quelques recettes de cuisine ? - Oh non : Nous savons que nous quitterons la France pour retourner au Canada, probablement. Pourquoi se détraquer l’estomac à prendre d’autres habitudes ? J’avoue pourtant, que je n’oublierai jamais vos restaurants… Bernard et moi, on en aura profité. - Vos plats préférés ? - Moi le coq au vin et lui l’escalope de veau panée ». Il y a deux ans, les parents de M. Rochon ont reçu de leur fils un billet d’avion. C’était le voyage aller-retour jusqu’à Orly, leur rêve. Ils sont restés quelques semaines à Sainte-Ruffine. Ils ne pouvaient plus repartir. Mme Rochon a pris sa belle-fille à part et lui a dit en montrant le jardin : « Je me croirais dans mon village, et puis c’est tellement beau d’entendre les enfants parler français ».« Du coup, constate Jacqueline, à part Luc, les autres ne comprennent plus l’anglais ».
Article signé Jacques Gandebeuf [Républicain Lorrain du 7 août 1966]
I added this picture showing the soldiers waiting the bus in front of the Aufredi Caserne in La Rochelle
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Cérémonie de départ de l'armée canadienne du château de Mercy le 31 mars 1967 (Photo archives RL)
Cérémonie de départ de l'armée canadienne du château de Mercy le 31 mars 1967 (Photo archives RL)
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