1916 Usine Vandier"le Verdun Rochelais"

1916 Explosion de l'Usine Vandier

1er Mai 1916

"le Verdun Rochelais"

Le 1er mai 1916, cette explosion a fait 177 morts et plus de 150 blessés. La plus grande catastrophe industrielle en France

1 cadavres gravatsLa recherche des cadavres dans les gravats, après l’explosion de l’usine Vandier & Despret © Archives municipales de La Rochelle et départementales de la Charente-Maritime

A Verdun, Joffre veut un état-major offensif pour diriger la bataille. En ce 1er mai 1916, il nomme Pétain et Nivelle. À 700 kilomètres de là, à l'arrière du front, la guerre fait d'autres victimes. La Pallice saigne. L'usine Vandier & Despret vient d'exploser : 177 victimes et plus de 150 blessés. L'accident laissera 93 veuves et 191 personnes à leurs charges, enfants et ascendants.

« C'était le Verdun rochelais », dit, cent ans après ce drame oublié, Christophe Bertaud, le vice-président de la société rochelaise d'histoire moderne.

Entendu jusqu'à Luçon

L'usine est soufflée. Sept mois seulement après sa mise en service. La violence de l'explosion est telle que parmi les 80 premiers cadavres découverts, 25 seulement peuvent être identifiés. Les dégâts matériels sont aussi considérables. Les estimations les chiffreront à 12 millions de francs. L'onde de choc est très étendue. Elle ruine et endommage huit sites industriels du premier périmètre, où les secours dénombrent aussi plusieurs morts. Alentours, de la rue Denfert-Rochereau jusqu'à Laleu, ce ne sont que toitures enlevées, plafonds éventrés, cloisons et murs effondrés. À 5 kilomètres, des vitraux de la cathédrale de La Rochelle volent en éclats. L'explosion est ressentie jusqu'à Marans et Châtelaillon, tandis qu'à une quarantaine de kilomètres en Vendée, les Luçonnais hébétés entendent un bruit de tonnerre…

2 verdun rochelais 3L'incendie qui précède de quelques minutes l'explosion© Photo Archives municipales de La Rochelle et départementales de la Charente-Maritime

La plus grande catastrophe industrielle française est directement liée à l'effort de guerre. « Un accident qui était un peu prévisible, affirme l'historien. Vandier et Despret étaient réfugiés du nord. Ils y travaillaient dans la filature de la laine. On est loin de l'industrie de l'armement ! La France manque alors cruellement de munitions et d'explosifs. L'État confie à des entrepreneurs privés le soin d'en fabriquer. » La proximité du port de commerce de la Pallice par lequel peuvent arriver toutes les matières indispensables à leur fabrication justifie le choix de l'implantation. Du nitrate, notamment, en provenance du Chili.

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© Photo Archives municipales de La Rochelle et départementales de la Charente-Maritime

4 verdun rochelais 6Le souffle déforme les cuves des dépôts de carburant et effondre les toitures des usines proches© Photo Archives municipales de La Rochelle et départementales de la Charente-Maritime

Lancée en un temps record

Les procédures sont rondement ficelées - si l'on peut oser parler de procédure. La société Vandier & Despret, fondée le 1er août 1915, demande trois jours plus tard à la préfecture l'autorisation de produire de la mélinite, un des composants chimiques des explosifs. En temps de paix, l'implantation de ce type d'établissement dangereux satisfait aux règles de la procédure « commodo et incommodo » et de son enquête administrative. En tant de guerre, tout est escamoté.

« Le 12 août, poursuit Christophe Bertaud, le ministère du Commerce télégraphie même au préfet de ne pas délivrer d'autorisation provisoire, et de laisser Vandier et Despret procéder à leur installation. »

Si bien que fin 1915, soit moins d'un trimestre après le début de l'histoire, l'usine tourne déjà. La production atteint 17 tonnes par jour. Parmi le personnel, on dénombre beaucoup de militaires. L'explosion va survenir après un incendie d'une vingtaine de minutes. « Dès le début de l'incendie, les secours accourent et aucun ordre d'évacuation n'est donné. Pour la simple raison qu'il est admis alors que la mélinite brûle, mais ne détonne pas… »

5 verdun rochelais 4Vue de l'intérieur d'une usine proche de Vandier & Despret après l'explosion© Photo Archives municipales de La Rochelle et départementales de la Charente-Maritime

Surveillance illusoire

Les événements vont prouver le contraire. Autre historien ayant travaillé sur le sujet, Bruno Baverel rapporte (1) un témoignage : « Dans l'usine, la surveillance n'existait pas ou elle était illusoire. Beaucoup fumaient en dehors ou dedans. » Coup de main socialo-révolutionnaire, attentat austro-allemand commis par quelques prisonniers, opération d'espionnage allemande. Les bruits courent sur la cause, mais c'est la thèse de l'accident qui est retenue.

« La trop grande accumulation de mélinite ce jour-là (200 tonnes), la présence de lots impurs (que la poudrerie d'Angoulême a refusés parce qu'ils étaient trop chargés en acide sulfurique) et l'élévation de la température due à l'incendie, ont eu des conséquences malencontreuses sur ce produit hautement sensible et dangereux. »

6 verdun rochelais 5Le 4 mai, les obsèques réunissent une foule très nombreuse. 80 cercueils sont transportés jusqu'au cimetière par 16 "camions automobiles"© Photo Archives municipales de La Rochelle et départementales de la Charente-Maritime

La mélinite se révélera très instable : le seul fait d'ouvrir un flacon qui en contient peut suffire à provoquer une explosion ! Le 4 mai, les pavillons des navires sont en berne, les commerces et les magasins de La Rochelle sont fermés, les instituteurs conduisent leurs élèves à la gare maritime de la Pallice.80 cercueils y sont entreposés et une population nombreuse vient assister aux obsèques des victimes.

7 usine vandier et despret a la gare maritime de la palliceDans le cimetière de la Rossignolette, les fosses qui ont été ouvertes sont trop grandes. Tous les corps n'ont pas été retrouvés.

(1) L'histoire de cette catastrophe est racontée dans Écrits de l'ouest n° 22, chez Gestes Edition.

4 verdun rochelais 2À la Rossignolette, les trois fosses sont trop grandes. 80 des 177 victimes sont inhumées, les autres n'ont pas été retrouvées© Photo Archives municipales de La Rochelle et départementales de la Charente-Maritime

La voiture de Vandier

Victor-Jacques Vandier vient de quitter l'usine quand se produit l'explosion. À 500 mètres, le souffle fait exécuter un demi-tour à sa voiture. Il s'en sortira ainsi que Despret qui était à Paris.

Soldats morts, mais pas pour la France

« Vandier & Despret participe à l'effort de guerre, mais les soldats qui gardent et travaillent dans l'usine ne seront pas considérés comme morts pour la France », indique l'historien Christophe Bertaud. Sauf exception, leurs noms ne figurent pas sur les monuments aux morts.

D'autres accidents industriels en 14-18

D'autres catastrophes auront lieu dans les usines d'armement. Le Havre (11 décembre 1915, une centaine de morts dans l'explosion d'une poudrière) ; Lille (11 janvier 1916, une centaine de morts dans une fabrique de mélinite), Bayonne (1916), Neuville-sur-Saône (1917).

Appel aux descendants

Les archives gardent traces de commémorations de la catastrophe Vandier & Despret, jusque dans les années 60. L’anniversaire est ensuite oublié, on commémore davantage les événements de la Seconde Guerre mondiale.

Dimanche 1er mai 2018 prochain, pour le centenaire de la catastrophe, le maire de La Rochelle a manifesté la volonté d’exhumer le souvenir du drame et de rendre hommage à ses victimes. Une cérémonie sera organisée.

Deux ans après la catastrophe, en mai 1918, la municipalité de La Rochelle, aidée par les contributions financières de MM. Vandier et Despret, et de la veuve de l’une des victimes, a érigé un monument en hommage aux victimes, dans le cimetière de la Rossignolette.

À la Repentie, sur le site de la catastrophe, a aussi été maçonnée une stèle, quelques mètres en retrait de la route, non loin du rond-point du Belvédère. Elle vient d’être restaurée.

Le présent industriel est hérité de Vandier

L’historien Christophe Bertaud raconte comment la catastrophe a influencé les implantations industrielles rochelaises.

« Sud Ouest ». Peut-on dire que la catastrophe de 1916 a eu des conséquences sur les implantations industrielles rochelaises ?

Christophe Bertaud. C’est évident. Le secteur de la Repentie où était implantée l’usine Vandier est resté une friche industrielle. On ne peut pas affirmer un lien de cause à effet, mais on peut imaginer que dans les années qui ont suivi le drame, il s’est agi de préserver le sanctuaire.

Cela peut aussi expliquer l’implantation actuelle de l’usine Solvay. La Société pour l’industrie chimique en France, son ancêtre, a produit pour l’armement. En 1915, elle était sur de vastes terrains, à Vaugouin ente La Rochelle et la Pallice. Elle deviendra Rhône-Poulenc, puis Rhodia, et enfin Solvay. Il n’y a pas eu d’accident à l’inverse de Vandier, l’implantation dans ce secteur de la ville n’a donc pas été remise en cause.

photo stel

Les photos de la catastrophe montrent aussi, près de Vandier, des cuves de carburant endommagées. N’aurait-on retenu aucune leçon de l’histoire ?

Regardez bien les photos ! Il n’y a pas eu d’incendie sur les dépôts de carburants consécutif à l’explosion de Vandier. Les cuves ont été déformées et seulement déformées. Pas d’explosion non plus. Du coup, à l’époque, consciemment ou pas, les industriels ne se sont pas interdits de poursuivre cette activité, là où elle se trouvait avant la catastrophe Vandier. Le port pétrolier en tant que tel est créé à La Rochelle en 1918, à l’emplacement de l’actuel port de service. Puis, un quai sera construit en 1924, le quai de la Marée qui deviendra plus tard le quai Lombard où l’on charge aujourd’hui les céréales. C’est aujourd’hui un trafic majeur du Grand Port maritime.

D’une certaine manière, la Première Guerre mondiale aura donc contribué à l’essor du port de la Pallice ?

En 1921, un historien écrit : « Avant la guerre, la Pallice était semblable à la Belle au bois dormant. […] Alors la guerre survint, les Américains accoururent et la dormeuse s’éveilla. » En 1914, le port de commerce de la Pallice ne représente que 56 % du trafic de marchandises portuaires rochelaises. Le reste arrive dans le bassin extérieur (futur bassin des Chalutiers), le port de commerce historique. En 1918, les rapports sont inversés et 80 % du trafic passe par la Pallice.

Vandier & Despret n’est pas la seule qui participe à l’effort de guerre. Nous sommes à l’arrière, les industries sont loin du front. La Compagnie du Phospho Guano et Les Établissements Bertrand, qui étaient installés avant-guerre, vont toutes les deux diversifier leur production. Dans le cadre des entreprises travaillant pour la Défense nationale, elles fabriqueront de l’acide sulfurique pour le service des poudres à besoin.

Logo sud ouest jpgSource Sud Ouest-Publié le 27/04/2016 . Mis à jour à 17h10 par Philippe Baroux

http://www.sudouest.fr/2016/04/27/faits-divers-2342668-4584.php

Page publiée le Samedi 2 Novembre 2019

Date de dernière mise à jour : 2019-11-02